Notre presqu'île .com

archives, histoires, images

de la presqu'île de Crozon

RÉCITS

?  

Quoi de neuf ?

Presse ancienne

Cartes postales

En mots

En images

En cartes

Savez-vous ?...

Guerre 14-18

Recensement

Éditions Notre Presqu'île

La Fabrique de l'Histoire   de Camaret

liens utiles

bibliographie

contact

 

   revenir en arrière
 

1866

        Le choléra à Lanvéoc (extraits)

par J.-B. Guillemart

choléra à Lanvéoc
représentation du choléra au XIXe siècle

   "Dans les premiers jours du mois de janvier 1866, le choléra flt son apparition à Brest et y atteignit en très-peu de jours son maximum de violence. D'abord l'épidémie se concentra dans la ville, sévissant particulièrement sur les quartiers les plus malsains; puis, franchissant les limites de la cité, elle se répandit dans la banlieue, et dans les communes rurales avoisinantes. Lanvéoc, petit bourg, situé de l'autre coté de la rade, en face de Brest, fut une des premières localités visitées par la maladie.

    Son éloignement du chef-lieu de canton, résidence du médecin, sa population, presqu'entiérement composée de marins, d'ouvriers de l’arsenal ou de leurs familles, éveillérent la sollicitude de l'autorité supérieure, et le préfet-maritime du 2° arrondissement m'envoya sur les lieux pour combattre le mal. J'y suis resté jusqu’au 12 mars suivant, époque à laquelle toute manifestation épidémique avait cessé depuis quelques jours déjà. Les faits que j’ai observés, pendant mon séjour à Lanvéoc, sont le sujet de cette thèse inaugurale."  

       J.-B. Guillemart

[...]

Lanvéoc est un petit bourg du canton de Crozon. Ce n'est pas une commune ayant son administration spéciale, mais, à proprement parler, une section de la grande commune de Crozon. Sa population est d'environ 1.300 habitants, disséminés sur toute l'étendue de la circonscription territoriale, mais l'agglomération principale ne compte pas plus de 350 âmes.

Le bourg est situé sur un plateau assez élevé, d'où l'œil embrasse, dans tous ses détails, le magnifique panorama de la rade de Brest. Les maisons occupent l'extrémité du plateau qui regarde le Nord. Elles sont étagées suivant une pente très-douce qui se termine par une déclivité abrupte du côté de la mer. Par suite de son exposition et de son altitude, cette localité est sans cesse battue par les vents et se trouve sans abri contre leur impétuosité.

Séparé de Brest par toute la largeur de la rade qui est, en cet endroit, d'environ 6.000 marins (11 kilomètres), le bourg de Lanvéoc est formé essentiellement par deux rues irrégulières, de longueur et de largeur inégales.

La première, que l'on rencontre en venant de la plage, court Est et Ouest. Sa direction est à peu près parallèle au rivage. Elle a environ 200 mètres de longueur, sur une largeur qui varie de 8 à 14 mètres. Elle n'est pas pavée, et vers son extrémité Est, ce n'est qu'un mauvais chemin défoncé, raviné, bordé de quelques masures à demi-ruinées. Le sol de cette rue, dans la plus grande partie de son parcours, est inégal, raboteux, crevassé. Le milieu en est moins élevé que les côtés, de sorte que pendant tout l'hiver et la saison des pluies, la chaussée est transformée en une mare boueuse où viennent se rendre le résidu liquide des étables et les immondices provenant des maisons adjacentes. Cette disposition du sol est très-fâcheuse parce qu'elle crée ainsi un réceptacle immonde dont les émanations vicient l'air environnant et rendent cette partie du bourg très-insalubre. Aussi est-ce le lieu de prédilection des épidémies. Toutes les fois que le choléra a paru à Lanvéoc, c'est là qu'il a frappé les coups les plus cruels; c'est encore là qu'il a sévi avec le plus de violence et d'acharnement lors de la dernière invasion.

De cette rue se détache une seconde qui se dirige du Nord au Sud en suivant une pente assez sensible. Elle a une longueur de 120 mètres environ, et sa largeur, qui d'abord est de 19 mètres, va en diminuant jusqu'au haut, où elle n'est plus que de 11 à 12 mètres. Sa déclivité naturelle permet aux eaux pluviales de s'écouler librement par deux ruisseaux latéraux qui les conduisent jusqu'à la plage. La chaussée de cette rue est dans un meilleur état que la première. Les maisons qui la bordent, exposées au levant et au couchant, sont dans des conditions de salubrité relativement bonnes. Elles sont moins humides, mieux aérées que les autres. C'est à la réunion de ces conditions qu'elles doivent l'avantage d'avoir fourni moins d'aliment au fléau. Le nombre des cas y a été bien plus faible, et si elles n'ont pas joui d'une immunité complète, du moins elles ont présenté un chiffre de décès beaucoup plus restreint. Le foyer d'infection y est resté circonscrit dans un petit espace, exerçant son action funeste, pour ainsi dire sur place, respectant les maisons voisines. Le haut de cette rue est le point de départ de trois routes, dont une conduite à Crozon et une autre fait communiquer la ville de Quimper, chef-lieu du département, avec la rade de Brest; mais elle est peu fréquentée aujourd'hui.

Outre les deux rues que je viens de décrire, il y a encore deux ou trois ruelles sans importance, irrégulièrement bordées de maisons et qui se perdent dans les champs ou bien aboutissent à des sentiers.

Le cimetière, à l'extrémité duquel se trouve l'église, est parfaitement isolé. Il occupe un terrain assez élevé, en dehors du bourg, dans le sud-Est. Cette disposition est favorable à l'hygiène, car les vents dominants étant ceux du Nord-Ouest au Sud-Ouest, pendant la plus grande partie de l'année, ce cimetière est par conséquent sous le vent par rapport aux habitations.

 

Habitations. — Les maisons sont, en général, petites, basses, humides. Elles n'ont pour la plupart qu'un rez-de-chaussée, quelques-unes seulement ont un étage. Les matériaux qui entrent dans leur construction ont été extraits d'une carrière de granit à gros grains située près de la plage. Elles ont, à peu d'exceptions près, une toiture d'ardoises.

Les fenêtres sont étroites, mal percées; chaque pièce n'en a qu'une, encore est-elle disposée de la façon la moins favorable au renouvellement de l'air. Presque toutes les maisons sont divisées en deux compartiments par une allée centrale, perpendiculaire à la façade et qui aboutit à deux portes, dont l'une donne sur la rue, l'autre sur les champs ou les courtils. Aux habitations sont adossées des crèches ou des étables; cependant, dans quelques-unes, la vache, les moutons habitent la même pièce que la famille. Leur litière n'est séparée du réduit affecté aux maîtres que par un lit ou une armoire formant cloison incomplète. Les immondices sont reçues dans une fosse, en plein air, à côté de la maison, ou bien dispersées sur les couches de fumiers voisines.

Rarement, il existe un plancher dans ces habitations. Le sol est formé par de la terre battue, toujours ou presque toujours humide et boueuse.

Bâties le plus ordinairement en contrebas des champs, ces maisons sont par cela même difficiles à tenir sèches. L'humidité y est permanente; les murailles visqueuses, gluantes, laissent suinter l'eau qui les pénètre ou qui se dépose sur leurs parois par suite de la saturation de l'atmosphère intérieure.

Enfin, les liquides provenant des étables et des fumiers circulent sous le sol, dans des conduits fréquemment obstrués, dont les nombreuses fissures dégagent sans cesse des odeurs infectés.

Telles sont les conditions que présentent la plupart des maisons que j'ai visitées. Il en est certes plusieurs dans lesquelles les règles de l'hygiène sont mieux observées, mais c'est l'exception, et la description que je viens de donner s'applique à la généralité.

Dans les villages, dans les hameaux qui environnent Lanvéoc, les conditions hygiéniques sont plus fâcheuses encore peut-être.

On ne peut arriver aux maisons qu'en passant sur une épaisse couche de plantes, d'herbes desséchées, de paille et de détritus de toute espèce, destinés à être convertis en fumier. Le purin des étables, les eaux ménagères, les infiltrations pluviales, opèrent cette transformation, à la grande joie du paysan, mais aussi au détriment de sa santé.

La fréquence des scrofules et de la tuberculose est la conséquence de l'humidité et du méphitisme des habitations.

L'encombrement y est toujours considérable. Quand la maison est divisée en deux pièces, tantôt chacune est occupée par un ménage distinct, tantôt une des pièces est affectée au logement de la famille et l'autre aux différents instruments de l'exploitation agricole. Dans les deux cas, la famille, quelque nombreuse qu'elle soit, n'occupe jamais qu'un côté; souvent même, dans les fermes, les valets couchent dans la même pièce que les maîtres et leurs enfants.

C'est donc encore une cause d'insalubrité à ajouter à celles déjà si nombreuses que présentent les habitations.

[...]

Climat. — Le climat est humide et pluvieux, comme dans toute la péninsule armoricaine. Le ciel est couvert pendant une grande partie de l'année. Les vents du Sud-Ouest, chassant devant eux de gros nuages, y apportent sans cesse les masses d'eau de l'Océan.

La température est moyenne, exempte des froids rigoureux en hiver et des chaleurs accablantes en été. La neige tombe rarement et ne reste pas sur le sol.

La population, en général, est pauvre ; le bourg est sans industrie. Les hommes sont marins ou laboureurs, quelques-uns font le batelage de la rade de Brest, d'autres sont employés comme ouvriers dans l'arsenal de la marine.

La nourriture ordinaire est peu substantielle; elle est composée principalement de pain d'orge grossier, de pommes de terre et de bouillie de blé noir. La viande fraîche n'entre qu'exceptionnellement dans l'alimentation. Les fermiers les plus aisés en mangent à peine une fois par semaine, les autres seulement à l'époque des grandes fêtes. Le lard salé est d'un usage plus fréquent. Cette nourriture, en grande partie végétale, est tout à fait insuffisante. De là une réparation incomplète des pertes éprouvées par l'organisme pendant le travail de chaque jour, de là aussi une calorification insuffisante, et, comme résultat, un appauvrissement de la constitution.

La boisson ordinaire est l'eau des puits ou des fontaines, qui est en général bonne.

La tendance au lymphatisme, à la scrofule, à la tuberculose, existe chez un certain nombre d'individus.

Les maladies qu'on observe le plus fréquemment, outre celles déjà énumérées, sont la fièvre typhoïde et la dysenterie. Ces deux affections sévissent ordinairement vers la fin de l'été et dans le cours de l'automne. Elles y revêtent le caractère épidémique. L'élément typhique envahit, en général, le champ pathologique.

Je termine ici la description des lieux dans lesquels s'est développé le choléra. J'ai suffisamment indiqué les conditions fâcheuses de l'hygiène qui pouvaient favoriser ses progrès; je vais maintenant exposer les faits relatifs à l'invasion de l'épidémie.

 

Historique de l'épidémie.

Il résulte des renseignements que je me suis procuré dans le pays même, que chaque épidémie cholérique qui s'est manifestée à Brest, a eu son écho, sa répercussion à Lanvéoc. Ainsi les années 1831, 1849, 1854, ont été marquées dans cette localité par une segmentation considérable de la mortalité, due à l'influence du fléau. Mais dans aucune de ces circonstances le nombre des décès n'avait atteint un chiffre aussi élevé qu'en 1866.

Le choléra sévissait à Brest depuis les premiers jours du mois de janvier et Lanvéoc jouissait d'un excellent état sanitaire. Quelques diarrhées avaient été signalées au commencement de l'automne précédent, mais depuis plus de deux mois on n'en avait observé aucune autre.

Les vents soufflaient presque constamment du Sud-Ouest ou de l'ouest, c'est-à-dire de Lanvéoc vers la ville infectée. A cause des rigueurs de la saison, les communications avec Brest étaient plus rares que d'habitude (ces communications se font au moyen de trois ou quatre bateaux non pontés, monté chacun par deux ou trois hommes. La durée de la traversée est au moins d'une heure, dans les circonstances les plus favorables. Elle peut se prolonger beaucoup plus longtemps, lorsque le vent est contraire. Les départs n'ont pas lieu en général à jours ni à heures fixes. De plus, à l'époque dont je parle, un petit bateau à vapeur venait faire escale à Lanvéoc deux fois par semaine, le lundi et le vendredi, jours de marché à Brest).

Le sieur N..., douanier retraité, dont la fille devait se marier le 15 janvier, vint à Brest pour faire des achats. Il y séjourna du 11 au l3 et habita le n° 38 de la rue de l'Église à Recouvrance. A cette époque, cette partie de la ville était encore à l'abri du fléau, mais le sieur N... fut très souvent appelé par ses affaires dans le quartier Keravel où la maladie sévissait avec intensité. Il alla dans plusieurs maisons où il y avait des malades et quelques-uns ont même succombé pendant qu'il était encore à Brest. Il retourna à Lanvéoc le 18 au soir.

Le 14, quelques parents vinrent de la ville pour assister à la noce qui devait se célébrer le lendemain; ils emmenèrent un enfant, de sept ans, François N. qui jouissait d'une très-bonne santé lors de son départ de Brest.

Le 18, cet enfant se sent indisposé; il se couche et aussitôt apparaissent de la diarrhée, des vomissements. Deux jours après, le 20, il expire, présentant tous les symptômes du choléra le mieux caractérisé.

Le sieur N... éprouva lui-même les mêmes phénomènes morbides que son neveu. La diarrhée, les vomissements amenèrent bientôt une grande prostration, mais après quelques jours de danger, il put guérir.

Sept jours après la première noce, le 22 janvier, les époux R..., proches parents du sieur N...., marièrent aussi une de leurs filles, et, à l'occasion de cette solennité, ils firent un ou deux voyages à Brest. Ils y séjournèrent même quelques jours (18, 19, 20 janvier), dans la famille de leur futur gendre, qui habitait aussi Recouvrance. Ainsi que le sieur N... ils furent appelés fréquemment par leurs affaires dans les quartiers qui étaient regardés comme les foyers principaux de l'épidémie. Ils repartirent pour Lanvéoc, avec quelques invités, tous en bonne santé.

Le 22 janvier, le jour même de la noce de sa fille, le sieur R... tombe malade dans la soirée. Les symptômes caractéristiques apparurent bientôt et enlevèrent le patient après 48 heures de souffrance. Il était âgé de 52 ans.

Le lendemain, 25, fut signalé par un troisième décès cholérique, celui du sieur L...., âgé de 36 ans, habitant momentanément un hameau voisin. Ce malheureux s'était trouvé malade le soir même de son arrivée de Brest et fut enlevé rapidement. Sa mort fut suivie de celle d'une jeune fille, en compagnie de laquelle il avait fait le voyage de Brest, et qui expira un ou deux jours après lui.

Un autre décès eut lieu le 27. C'était une vieille femme de 73 ans, la veuve E..., qui avait assisté aux deux noces célébrées les jours précédents.

Le 28, la veuve R..., âgée de 45 ans, dont le mari était mort le 24, fut prise à son tour du choléra et mourut le 30.

Le 31 fut marqué par la mort du sieur P...., âgé de 39 ans, batelier. Il était parti la veille pour Brest dans un parfait état de santé. C'est là qu'il ressentit les premières atteintes du mal; il rentra chez lui dans la soirée et succomba le lendemain.

Dans la maison habitée par les époux R..., morts tous les deux, l'un le 23, l'autre le 28 janvier, quatre nouveaux cas se déclarèrent du 31 janvier au 2 février. Malgré leur extrême gravité, un seul eût une terminaison fâcheuse, ce fut celui d'une mère de famille, âgée de 39 ans enceinte de quatre ou cinq mois. Elle mourut le 6 février après une réaction incomplète.

Cette journée du 6 février fut marquée par trois décès : ce sont, outre celui que je viens de signaler, ceux de deux vieillards âgés, l'un de 73 ans, l'autre de 77.

Le 7, je constate deux autres cas mortels survenue chez un enfant de quatre mois et une vieille femme de 78 ans.

Le 9, un seul décès : une veuve âgée de 77 ans.

Le 10, un autre jeune enfant de huit mois.

Le 12 mourut une vieille femme de 72 ans.

Le 14, deux décès : un homme âgé de 6l ans et une femme de 55 ans.

Le 18, un enfant de dix-huit mois.

Le 19, deux autres victimes : un homme de 42 ans et une jeune fille de 14 ans.

Enfin, le 22, je constatai un dernier décès sur un vieillard septuagénaire, père de l'homme qui avait succombé le 19.

Là s'arrête la mortalité.

Les sept premiers décès, survenus du 20 au 31 janvier, avaient jeté l'épouvante dans tous les esprits. Le nombre des malades devenait chaque jour de plus en plus considérable. Tous les premiers cas se déclarèrent sur des personnes qui avaient été à Brest ou bien qui avaient assisté aux deux mariages, et s'étaient par conséquent trouvées en rapport avec les premiers malades.

A mon arrivée, j'ai constaté une vingtaine de cas de choléra, dont trois étaient déjà à la période algide. Ma présence releva le moral affaissé des habitants ; ils étaient certains d'être secourus à temps. La plupart des victimes n'avaient pas pu recevoir les soins médicaux. L'incurie particulière aux gens de la campagne faisait qu'on n'allait chercher le médecin que lorsque son intervention n'était plus utile. Le plus souvent il n'arrivait que pour constater un décès.

Le choléra, ai-je dit, choisit ses premières victimes parmi les personnes venues de Brest ou bien qui avaient eu des rapports avec la ville infectée. Ainsi, dans la maison où mourut la première victime, le jeune François N..., il y eut trois autres cas, mais moins graves, et qui se sont terminée par la guérison. Dans la maison où eut lieu la seconde noce, on ne compta pas moins de sept cas, dont trois eurent une issue funeste. Ces deux maisons, situées dans la partie du bourg la plus malsaine, et presque en face l'une de l'autre, peuvent être regardées comme les deux principaux foyers où s'est développée l'infection et d'où elle s'est ensuite répandue de proche en proche à la totalité du bourg.

Le temps était humide et froid; la pluie tombait presque continuelle ment. Ces fâcheuses conditions atmosphériques augmentaient encore l'insalubrité habituelle des demeures. Le milieu était éminemment propice au développement de l'épidémie. Aussi les germes apportés de Brest se propagèrent-ils rapidement, s'attachant de préférence aux constitutions débilitées par l'âge, la misère ou les maladies, s'établissant dans les maisons les plus malsaines. Toutes les parties du bourg furent visitées par le fléau, mais les plus maltraitées furent celles qui avoisinent le cloaque bourbeux dont j'ai parlé plus haut. Là, dans un espace assez restreint, il fit douze victimes, après avoir frappé un bien plus grand nombre de personnes. Au commencement de l'épidémie, le choléra tuait presque tous ceux qu'il attaquait. En même temps, beaucoup d'habitants, les femmes et les vieillards principalement, présentèrent de nombreux cas de diarrhée et de cholérine. Puis la manifestation symptomatique offrit un caractère de gravité moindre; les cas étaient moins nombreux moins intenses, et l'épidémie suivit sa marche décroissante jusqu'à sa disparition complète, après avoir cependant présenté une assez forte recrudescence vers la fin du mois de février.

Le nombre total des décès a été de 21, dont 16 pour l'agglomération principale. Dans les hameaux environnants, les cas ont été bien moins nombreux et beaucoup moins graves qu'à Lanvéoc même.

Sur les 16 décès qu'a présentés le bourg, 12 ont eu lieu dans la partie la plus insalubre et ont été fournis par un très petit nombre d'habitations. Le reste du bourg n'a compté que quatre cas mortels, dans trois maisons contiguës, qui offraient au plus haut degré toutes les mauvaises conditions d'une hygiène déplorable.

Le nombre des personnes qui ont subi l'influence épidémique a été très-considérable, puisque, pour le bourg seulement, il monte à 80 et à 104 pour toute la circonscription. Dans ces chiffres sont compris les diarrhées, les cholérines et les cas de choléra.

 

[...]

Les habitants de Lanvéoc (et ce fait est vrai pour presque toutes les petites agglomérations) sont en général unis les uns aux autres par des liens de parenté plus ou moins rapprochés. A défaut même de ces liens de parenté, ils trouvent dans leurs rapports d'intimité une occasion incessante de se fréquenter. Dès qu'un cas de choléra se déclarait dans une maison, aussitôt les voisins, les parents, les amis, accouraient en foule, malgré la terreur que le nom seul du mal imprimait aux esprits. Cette affluence dans un lieu dont l'atmosphère était déjà contaminée, augmentait les propriétés nuisibles de l'air et favorisait la propagation du miasme infectieux.

Les visiteurs rentraient chez eux, profondément émus du triste spectacle qu'ils venaient de contempler. Bientôt ils tombaient malades à leur tour, et la même scène se reproduisait invariablement.

Cette influence de l'encombrement est tellement évidente, que lorsque j'eus interdit toute espèce de rassemblement de ce genre, l'épidémie perdit aussitôt ce caractère de propagation rapide qu'elle offrait avant mon arrivée.

[...]

Prophylaxie. — La première indication qui se présentait était la destruction ou au moins l'atténuation des foyers miasmatiques. C'était le seul moyen d'arrêter l'épidémie dans sa marche fatale.

Dès le début, les maisons infectées ont été tenues dans un isolement relatif ; on n'admettait auprès des malades que le personnel nécessaire pour les soigner.

L'atmosphère intérieure des maisons était renouvelée plusieurs fois dans la journée; un dégagement de chlore fut établi en permanence dans celles où il y avait des malades. L'humidité fut combattue par une ventilation fréquente et l'entretien de feux clairs dans les foyers. La plus grande propreté fut mise en pratique. Les matières des vomissements et des déjections alvines étaient portées à quelque distance de l'habitation et enfouies au fur et à mesure qu'elles se produisaient.

Dès qu'un décès avait lieu, le cadavre était inhumé et enterré dans un délai assez court.

Tous les objets de couchage, tous les vêtements ayant servi aux malades, étaient exposés à l'air, loin des maisons et sous le vent. Ils étaient soumis à un battage, ensuite soigneusement lavés à l'eau chlorurée.

Autant que possible, les maisons où la mort venait de frapper un malade étaient évacuées, et, avant de les habiter de nouveau, on y faisait dégager des vapeurs de chlore pendant quelque temps.

Le régime des familles nécessiteuses était amélioré à l'aide des fonds mis par le préfet du Finistère à notre disposition. Des distributions de bouillon, de vin, de bois, de vêtements, furent faites aux plus pauvres.

 

Traitement. — L'ambulance, organisée à la hâte, ne contenait que peu de médicaments. On avait dû les choisir parmi les plus usuels. J'ai donc été forcé de restreindre la médication, en raison de la pénurie des moyens thérapeutiques mis à ma disposition.

Pour ramener la chaleur, j'ai employé les couvertures de laine préalablement chauffées, les bouteilles remplies d'eau bouillante, les sachets de cendres chaudes, les briques qu'on avait passées au feu.

Dans quelques circonstances, en présence d'une algidité extrême, j'ai eu à me louer du bain d'enveloppe, obtenu avec une couverture de laine trempée dans de l'eau bouillante et légèrement égouttée, avant d'en entourer le malade.

Les sinapismes, les frictions diverses étaient utiles dans les cas légers. Les frictions faites le long de la colonne vertébrale avec un mélange par parties égales d'essence de térébenthine et d'ammoniaque, ne m'ont pas paru aussi utiles qu'on le prétend souvent.

Les boissons étaient administrées en petite quantité, afin de ne pas, par leur abondance, favoriser la tendance au vomissement. Des médicaments solubles étaient donnés avec le moins de véhicule possible, pour augmenter la facilité de leur absorption et éviter leur rejet.

Contre la diarrhée, j'ai employé les lavements laudanisés ou mucilagineux, le sous-nitrate de bismuth ou le ratanhia.

Contre les vomissements, l'éther, le laudanum, quelquefois le sous-nitrate de bismuth, mais jamais la glace, vu l'impossibilité de s'en procurer.

[...]

SOURCES

Article :  Du choléra épidémique observé à Lanvéoc - canton de Crozon (Finistère), thèse présentée et publiquement soutenue à la Faculté de Médecine de Montpellier, le 21 février 1868, par J.-B. Guillemart, de Lannion (Côtes-du-Nord), médecin de 1ère classe de la marine impériale, Chevalier de la Légion d'Honneur, pour obtenir le grade de docteur en médecine, sur le site Internet www2.biusante.parisdescartes.fr

   

Images : extraites des tables décennales de l'état civil de Lanvéoc (arch. dép. cote 5E124/1)

 

 

 

 

© notrepresquile.com 2014-2024

 

Mentions légales et Conditions Générales d'Utilisation      |     Qui fait ce site ?

 

Selon la loi Informatique et Libertés du 6/01/78 modifiée en 2004,
vous bénéficiez d’un droit d’accès et de rectification aux informations vous concernant, que vous pouvez exercer en nous écrivant.