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1849
Le tourisme à Crozon

extrait d'une lettre d'Edmond About à Arthur Bary

 

    


portrait d'Edmond About en 1858
par Félix-Henri Giacomotti

  

  Visiter la presqu'île au XIXe siècle venait à l'idée de bien peu de gens... à moins d'y être obligé. Ou d'être poëte. Ou écrivain voyageur. Ou jeune ! C'était le cas d'Edmond About, en cet été 1849.

  Ce jeune homme de 21 ans, futur journaliste- écrivain-critique d'art- académicien français, vient de passer avec succès son examen de fin d'année à l'École Normale, et entend bien profiter au maximum de ses vacances : une excursion vers l'Ouest, en tentant d'aller le plus loin possible. Accompagné de son ami Francisque Sarcey, il part donc vers la Bretagne, sac au dos et bâton à la main.
  Leur itinéraire les fait passer par Crozon où ils doivent retrouver un ami...

 

Auray, le 8 octobre 1849.

« Mon cher ami, tout plaisir a son terme nous serons le 15 à Paris. Depuis ma dernière lettre, datée je ne sais d'où, nous avons fait beaucoup de chemin, et nous avons eu encore plus de plaisir. Nous avons vu Brest, une ville charmante, où tout le monde, depuis le sergent de ville qui nous a demandé nos passeports jusqu'au major qui nous a signé un permis de visiter le port, a été charmant pour nous. Les forçats mêmes sont d'une grâce à ravir, et rivalisent d'amabilité avec les gardes-chiourmes. Nous avons décerné à Brest le titre de la ville la plus polie de France. Je n'ajouterai pas à tous ses mérites celui de nous avoir donné un excellent déjeuner : on vit admirablement dans toutes les villes de Bretagne. Il est vrai que dans les villages on ne trouve absolument rien, pas même de pain; à plus forte raison pas de vin, de viande, ni des autres vanités de la civilisation.

De Brest, nous sommes allés, par un chemin héroïque, et en un voyage qui ferait une Odyssée, à Crozon, où nous avons trouvé Edouard. Mais ne crois pas que nous l'ayons trouvé là tout naturellement, comme on trouve un enfant sous un chou.

Nous nous étions fait transporter de l'autre côté de la rade de Brest dans la presqu'île qui recèle Crozon c'est une traversée de trois lieues. On nous débarque à la nuit. Nous demandons le chemin de Crozon; on nous l'indique en ajoutant « Mais vous êtes sûrs de vous perdre. » En effet, trois lieues de pays à travers les landes, les rochers et les sables du bord de la mer. « Bon, disons-nous, nous irons demain. En attendant, couchons ici. » — Mais, nous dit-on, ici ce n'est pas un village; c'est un fort en construction, et le peu d'auberges qui existent sont littéralement remplies par les ouvriers. » En effet, nous courons toutes les maisons : pas un lit. Enfin, de guerre lasse, nous nous installons dans une maison, et nous déclarons positivement à la propriétaire que, de deux choses l'une, ou nous coucherons chez elle, ou elle nous trouvera un guide pour Crozon. Elle nous en trouva deux. Nous voilà courant à la suite de nos guides à travers le plus chien de pays qui salisse la surface de la terre ; à chaque pas nous prenions un bain de pieds quand nous ne buttions pas dans une pierre ou dans une racine. Enfin nous voici à Crozon : nous courons droit à l'hôtel qu'habite la famille de Suckau, le maître de l'hôtel vient en chemise nous ouvrir sa porte et, jugeant à notre mine que nous pourrions bien être des voleurs, il nous répond qu'il n'a pas un lit vacant.

Autre embarras ! Nous allons frapper à une auberge. Le maître de la maison se dit intérieurement qu'il n'ouvrira pas et, comme c'est un Breton, nous avons beau frapper. Le chien du logis aboyait comme un beau diable le maître ne soufflait pas mot cela dura bien un quart d'heure. Enfin, un brave homme de cabaretier, malgré l'opposition de sa femme, consent à nous coucher, dans un seul lit, et dans une chambre où couchaient déjà deux personnes. Faute de mieux, nous acceptons avec reconnaissance et au préalable nous nous mettons sur la conscience une immense omelette avec une tasse du plus infernal thé que paysan breton ait moissonné dans son

Le lendemain, Edouard vint nous surprendre au matin dans ce dortoir où nous n'avions pas dormi. Je n'ai pas besoin de te dire combien l'hôtelier qui nous avait mis à la porte nous fit d'excuses le lendemain notre émigration ne fut pas longue à faire; pendant les trois jours que nous avons passés à Crozon, nous avons pris tous nos repas avec la famille d'Édouard, qui a été charmante pour nous. L'hôtelier lui-même, pour regagner tout à fait nos bonnes grâces, nous a très modérément écorchés, après nous avoir bien traités.

Édouard nous a offert une partie de cheval sur les rochers de la presqu'île. Tu sais quel pauvre écuyer est notre ami Francisque : cependant il a fait comme nous, il a enfourché son bidet breton, il a gravi dans les rochers, il a trotté et galopé sur les routes, il a passé avec nous toute sa journée à cheval, et, contre son attente, il n'est pas tombé ! Aussi je te laisse à penser combien il était content de lui. Ces petits chevaux bretons sont infatigables; et ils ont le pied aussi sûr que des mulets. Édouard nous a conduits déjeuner à Camaret, dans un petit village où l'on pêche épouvantablement de sardines. Il y a plus de sept cents bateaux qui pêchent tous les jours; et quelquefois un seul en prend 20 000 dans sa journée.

Le lendemain, nous sommes allés avec toute la famille visiter en bateau les grottes de Crozon c'est de toute beauté des cavernes très profondément creusées dans le roc; la lumière s'y décompose de mille façons sur les cristaux. Ensuite, nous avons fait une partie de pêche, où Mme de Suckau s'est distinguée par un bonheur et une adresse incroyables. Elle est presque la seule qui ait pris du poisson, et elle en a fait un carnage.

Le lendemain, toute la famille d'Edouard quittait Crozon pour aller à Châteaulin habiter chez une amie de Mme de Suckau. C'était notre chemin pour gagner le Morbihan. Édouard vint à pied avec nous : c'était une affaire de neuf lieues, une plaisanterie pour nous qui en faisons maintenant jusqu'à douze sans nous fatiguer, mais pour lui, c'était plus grave. D'autant plus que nous nous sommes perdus dans le brouillard en traversant une montagne. [...] »

 

Source :

Article de M. Paul Bonnefon dans La revue des deux mondes - Tome vingt-septième - 1er mai 1915 (sur Gallica)

 

 

 

 

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